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Mort et résurrection de la loi morale

Mort et résurrection de la loi morale

Montréal, HMH, coll. « Constantes », 1997, 170 p.

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Résumé

Dans ce livre, Michel Morin cherche à penser la signification pour le destin de l’homme moderne de ce que Nietzsche a appelé la mort de Dieu ainsi que les causes ayant mené à cet effondrement de la métaphysique et des grands systèmes moraux. Si notre époque se caractérise par la fin des « valeurs communes », la loi morale ne peut plus être imposée de l’extérieur. Il ne s’agit point ici de le déplorer mais d’en prendre acte. La « cassure dans la civilisation occidentale » signifie la fin du tout social conçu comme assemblée de croyants tenue par des valeurs communes supposées éternelles. Prôner le « retour à ce qui fut » (sous une forme ou sous une autre) revient à nier ce qu’il y avait d’étouffant pour un individu dans le fait d’adhérer à des idéaux en dépit de sa singularité et de son expérience personnelle : en fait, avant même que celles-ci aient pu se réfléchir, le culpabilisant à l’avance d’être soi.

Si la force historique de la civilisation productiviste lui vient de ce qu’elle prend en compte le désir de réalisation de chacun (en cela réellement universelle), sa faiblesse n’est-elle pas de « proposer à l’individu un modèle uniformede réalisation de soi et de bonheur, lequel réclame de lui au préalable, comme autrefois la morale à l’idéal du Bien, qu’il se soumette à l’impératif productiviste, à ses exigences et à ses normes ? » S’il est un avenir à la morale ou à quelque idéal pouvant mettre un terme au nihilisme passif du « dernier homme », c’est à chacun qu’il incombe de le découvrir à la faveur d’une descente en lui-même : car il n’y a pas que pulsions et « chiens sauvages » qui habitent ce corps ; si elle sait y être attentive, la conscience reconnaîtra peut-être aussi l’appel primitif d’un Logos qui n’est pas détaché de son corps mais qui l’habite, le travaillant de l’intérieur, ce  qu’Héraclite déjà avait enseigné.

Si l’auteur voue dans ce livre chacun à lui-même, c’est parce qu’il croit qu’il ne peut plus y avoir de « valeurs » ni de « lois » authentiques qu’émanant de l’individu qui aura appris (ou réappris) à séjourner en lui-même. Dès lors, cet individu pourra opposer sa « loi nouvelle » au contentement béat du dernier homme ainsi qu’aux lois et valeurs communes qui se survivent encore malgré la déchéance du Père et le triomphe de l’interprétation maternisante de la Loi. Par-delà la signification de la mort de Dieu, l’auteur cherche donc à penser le sens intérieur de la Loi, non plus la Loi du Père, mais celle du Fils qu’une lecture attentive de l’Orestie d’Eschyle permet à Michel Morin d’esquisser dans la dernière partie de son ouvrage, intitulée « L’Orestie ou la Loi du Fils ».

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Extraits

Pour beaucoup, désormais, il n’est plus d’au-delà qui tienne, toute référence à un « autre monde » apparaissant trompeuse. La recherche du bien-être, de la « satisfaction » matérielle et psychologique, de la sécurité sous toutes ses formes, constituent ce que l’homme moderne appelle le « bonheur » vers lequel chacun doit tendre, sans attendre autre chose ni plus de l’existence. On pourrait qualifier une telle attitude de nihilisme passif : l’existence se suffirait à elle-même, rien d’autre n’étant appelé à lui donner sens. (p. 35)

La rupture avec ce qui fut est maintenant trop profonde pour que l’individu sensible en quête de lui-même puisse réellement songer à revenir à ce qui fut. […] Face à cette quête individuelle issue d’un malaise et d’une inquiétude, l’on pourrait invoquer le risque d’un « dérapage » du sens moral collectif. C’est oublier que (ou faire comme si) le sens moral, dans son acception traditionnelle, a d’ores et déjà « dérapé » au profit de l’impératif productiviste et de la recherche du bien-être. L’idéal transcendant dont il se réclamait et qui le justifiait d’énoncer des règles morales universelles s’est effondré précisément parce qu’il sacrifiait l’existence individuelle à un modèle de réalisation pré-défini : comme s’il fallait imposer à l’individu un idéal d’humanisation et faire triompher en lui l’humanité envers et contre lui-même. (p. 37-38)

Les « endormis » sont ceux qui ne se risquent même pas, de crainte de « perdre pied ». Ils ne se risquent pas à regarder en face la nature contradictoire du réel, de ce qu’ils oeuvrent à faire advenir en leur propre existence. Ils « se croient ». Le soupçon d’être un autre, qu’autre chose que ce qu’ils préparent approche à quoi ils oeuvrent à leur insu, ne les effleure pas, ou alors, s’il les effleure, c’est pour le chasser aussitôt. Ils croient à leurs buts, ils se font même un point d’honneur de n’avoir pas dérogé à leur position depuis des années, ils appellent « fidélité » l’habitude réitérée de trahir ce qui les travaille et les appelle ailleurs. (p. 78)

Les partisans du « retour » que scandalise la « décadence générale » sont eux-mêmes des artisans de décadence. Ils sont complices de la médiocrité et de la facilité ambiantes en en produisant la « justification idéale ». Si, en effet, la seule alternative se trouve dans le retour à Ce qui fut, à la Loi ancienne, comme chacun sait que c’est impossible, chacun se trouve justifié de continuer à suivre le même courant. […] Il n’est donc en ce sens aucun « retour au Père » possible, aucun retour à la « Loi qui fut », à l’« autorité », comme on dit, aux « valeurs », sans jamais bien sûr les définir. Il n’est de retour qu’à la Mère, et c’est exactement ce qui se cache derrière ces discours. Pour être clair : on ne prône ainsi que l’adhésion toujours plus aveugle à l’interprétation maternelle de la Loi, qui se résume et s’achève dans l’incitation à l’obéissance, de peur du châtiment. C’est à la seule condition d’une rébellion du Fils, étroitement allié à sa sœur, qui se réalise dans le meurtre de la Mère, qu’un rapport nouveau à la Loi devient possible, que la Loi peut renaître. C’est à ce choc, cette violence, cet attentat, cette rupture que correspond l’émergence de la conscience, en ce qu’elle comporte de toujours neuf, de toujours jeune et de toujours subversif. Avec elle, un monde s’achève car un autre commence. (p. 168-169)

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Critiques

« Avec Mort et résurrection de la loi morale, le philosophe Michel Morin continue sa belle description du grand affranchissement dont parlait Nietzsche dans son introduction à Humain trop humain. Cette fois encore, son essai est le résultat d’une rayonnante érudition et d’un fabuleux sens du questionnement. L’enjeu de ce travail ? “Le triomphe sur la vengeance et le ressentiment”. »

André Baril, Combats, vol. III, no 3, 1998.

« Dans deux chapitres très riches qui concluent ce livre, Michel Morin fait d’Oreste le porteur d’un idéal de démesure où il retrouve à la fois le dégagement de la tribu et l’assomption d’une solitude qui peut aller jusqu’au meurtre de la Mère pour retrouver la Loi. Oreste est donc repris comme figure du sujet souverain dans cette galerie où une philosophie qui tente de se déprendre de la communauté cherche de manière inquiète les modèles de sa quête. Cet essai, faut-il insister, représente dans l’œuvre de Michel Morin une étape d’une grande maturité et même s’il n’est pas entièrement exempt de paradoxes difficiles, ce livre interpelle tous ceux que l’éthique actuelle reconduit aux carrefours de la subjectivité. »

Georges Leroux (Université du Québec à Montréal), Spirale, mai-juin 1998.

« Lire le texte de Michel Morin, c’est donc en définitive suivre le lent tracé d’une nouvelle filiation. Quand le Fils triomphe du multiple, de la décadence des derniers hommes, il forge un Nouveau Testament qui appelle un Père autre. Par le sacrificiel, le texte introduit le religieux. Oreste un peu Christ réinvente la Paternité en renonçant à l’antique Loi et, par violence, fonde le sens. […]
Ce déchirement donne le ton à l’universel dont le caractère abstrait a dès lors été écarté. Qu’on ne s’étonne pas en conséquence que le texte que nous lisons porte le sceau de l’authenticité. Dans un exploit de phénoménologue, Michel Morin ne parle pas la langue officielle des “gargotons” philosophiques ; il parle de soi pour tous ; ainsi il parle plus net des objets, ainsi il en est plus intègre. Entre Montaigne et Zarathoustra, arqué par une tension intérieure de désir de vérité. »

Jean-Claude Brès, Horizons philosophiques, printemps 1999.

« Peu de philosophes québécois ont une feuille de route plus garnie que Pierre Bertrand et Michel Morin. À eux deux, ils ont publié depuis 1977 une vingtaine d’essais qui traitent des précaires conditions d’existence du sujet contemporain.La vie au plus près et Mort et résurrection de la loi morale sont les deux dernières moutures d’une réflexion de longue haleine sur les arcanes philosophiques de l’individu. »

Robert Saletti, Le Devoir, 18 avril 1992.

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